La brutalite des frontieres

Depuis le debut de notre voyage et mis a part au Tibet, nous avions franchi jusqu’ici les frontieres relativement facilement. Certes, en Asie, il nous faut un visa pour chacun des pays avec son lot d’arbitraire, d’absurde, de regles administratives fluctuantes, de documents impossibles a fournir. C’etait complique, long, penible mais in fine, nous passions toujours. Grace a notre passeport europeen, grace au fait de vivre dans un pays riche, grace a ce hasard d’etre ne du bon cote.

Climbing up the city walls, Khiva, Uzbekistan

Au fond, j’ai toujours meprise ces limites territoriales qui sont tout sauf ”naturelles” ou “eternelles”.  En voyageant le plus possible par voie terrestre, nous nous rendons compte de continuites culturelles, linguistiques, culinaires qui se fichent bien des fils barbeles et kepis haut en couleur.

Malheureusement, si on prend un peu de recul, on realise que depuis la seconde guerre mondiale, les frontieres se multiplient. Avec la decolonisation puis la chute de l’URSS, les Etats Nations se sont multiplies. La construction europeenne a fait un temps exception mais cette parenthese semble se refermer.  Nous sommes meme arrives a une “obsession des frontieres” pour reprendre les termes de Michel Foucher, specialiste de la question.

Villazon, Bolivia, your acts tell more than your words

Cette obsession des frontieres renvoie a notre relation a l’Autre. Voit-on son voisin comme une source d’echange, d’oxygene indispensable ou bien une menace potentielle dont il faut se proteger ? Chaque pays a sa reponse et celle-ci differe en fonction des epoques et de sa nationalite. Le phenomene a ete abondamment etudie par Achille Mbembe, historien camerounais.

A l’aeroport d’Almaty au Kazakhstan, nos billets pour Teheran en main et alors que nous pensons tranquillement retrouver ma famille et des amis en Perse, une douaniere zelee reprochera a Ula de ne pas avoir de visa Kazakh. Nous lui expliquons avoir un tampon d’entrée tout a fait officiel (probablement accorde par erreur, nous realiserons ce detail plus tard), sa reponse est sans appel : c’est bon pour le franzusky mais niet pour la litovsky : pas de visa, pas d’avion. Vous pouvez entrer dans le pays mais vous ne pouvez pas sortir. Pire, par un retournement de situation stupefiant, Ula est accuse d’entrée illegale sur le territoire. Deux pervers administratifs de la pire espece prendront le relais et nous mijoterons pendant 6h dans une zone militaire pres de l’aeroport. Probablement en attente d’un bakchich qui ne viendra jamais. Aucune violence physique mais des heures d’attente lancinantes dans l’incertitude la plus complete.

Nous sommes actuellement en securite, loges par l’ambassade lituanienne, avec studio equipe a disposition. Nous rongeons notre frein depuis une semaine, le jugement tarde. Ula prend les choses du bon cote, elle en vient meme a esperer une retention administrative (option tout a fait possible meme si nous y croyons peu) afin de trouver matiere a ecrire un livre ! Les prisons kazakhs regorgent en effet de cas plus absurdes les uns que les autres. Le consul lituanien nous parlera d’une kazakh enfermee 10 jours pour avoir crachee des graines de tournesol sur le trottoir ou de francais ayant depasses d’un jour le delai autorise sur le territoire. Il y a matiere a philosopher.

A une époque ou le terrorisme preoccupe tout le monde, combien de droits individuels peut-on retirer pour proteger un etat de droit ? A partir de quand quitte-t-on cet etat de droit et tombe-t-on dans un etat policier non democratique ? Nous esperons ne pas avoir le temps de reflechir trop longuement a cette question…

MISE A JOUR 05/06/2016 : Toutes les charges retenues contre Ula ont finalement ete annulees, elle a simplement du s’acquitter d’un nouveau visa kazakh a 3 dollars. 15 jours d’attente juste pour cela. Elle vient de me rejoindre en Iran ou je l’avais precede de quelques jours pour retrouver ma famille.

4 réflexions sur “La brutalite des frontieres

  1. J’espère que ce ne sera qu’un mauvais moment à passer pour vous. Il semble que plus vous vous approchez de l’arrivée et plus vos déplacements se compliquent. Je ne vous souhaite pas de devoir suivre le même chemin que les migrants pour renter à la maison. Si besoin, on créera une chaîne de solidarité et on viendra vous chercher!
    PS: Ula, garde ton sourire et ta bonne humeur et tu trouveras un arrangement avec les autorités.
    Prenez soin de vous!
    Et donnez vite de vos nouvelles
    Danielle

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  2. Coucou Danielle,
    Nos soucis sont en effet une blague à côté de ce que vivent les réfugiés. Honte à l’Europe et donc à nous de laisser se dérouler ce massacre.
    Nous sommes presque au bout de nos peines. Une fois sortis de cette mauvaise passe, il n’y a plus de herse administrative jusqu’à l’Europe.
    Salutations amicales,
    Thomas et Ula

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  3. Salut Thomas et Ula , j’espère très sincèrement que tout va se décanter rapidement et dans la douceur pour que vous retrouviez votre route …Sinon , tu sais que je suis un peu « mercenaire » sur les bords et surtout fidèle à mes amis , donc , prévient ces gratte-papiers que je pourrai débouler , armé comme un croiseur avec des flingues de concours ;-) !!
    Caro et moi vous embrassons très chaleureusement !
    A bientôt,
    Jeff

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    1. Jeff, merci pour ton message dans ces moments difficiles. Je n’ai aucun doute sur tes talents de mercenaire et nous gardions cette possibilité comme dernière cartouche :) heureusement les événements nous ont évité de faire appel à tes services armés. Je suis d’un naturel peu violent mais les pervers bureaucrates arriveraient à me faire sortir de mes gonds ! Salutations amicales d’Iran, Thomas

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